12 août, 2014

Synode : Robert Spaemann s’engage dans la bataille pour le mariage

Dans une tribune publiée par First Things, Robert Spaemann, professeur de philosophie émérite à l’université, évoque le sujet qui est déjà médiatiquement au centre du prochain Synode extraordinaire sur la famille : les divorcés remariés, leur accès à la communion, la juste « pastorale » à leur égard… médiatiquement mais aussi à cause de la mise en avant du cardinal Kasper par le pape François au dernier Consistoire, où il avait suggéré que l’Eglise pourrait évoluer sur ces points.
Robert Spaemann est un proche de Benoît XVI, participant par exemple à sa Schülerkreise sur la création et l’évolution en 2006.
Voici ma traduction de ce texte. – J.S.

Robert Spaemmann. Il n'a jamais eu peur
d'aller à contre-courant.
Les statistiques du divorce dans les sociétés modernes occidentales sont catastrophiques. Ils montrent
que le mariage n’est plus considéré comme une réalité nouvelle et indépendante qui transcende l’individualité des époux, une réalité qui, à tout le moins, ne peut être dissoute par la volonté d’un seul des deux partenaires. Mais peut-elle être dissoute par le consentement des deux partenaires, ou par la volonté d’un synode, ou d’un pape ? La réponse est nécessairement négative, puisque, comme l’affirme Jésus lui-même explicitement, l’homme ne peut séparer ce que Dieu lui-même a uni. Tel est l’enseignement de l’Eglise catholique.
La manière dont les chrétiens entendent une vie bonne s’affirme comme valant pour tous les êtres humains. Mais même les disciples de Jésus furent choqués par les paroles de leur Maître : ne vaudrait-il pas mieux, alors, répondirent-ils, ne jamais se marier ? L’étonnement des disciples souligne le contraste entre le style de vie chrétien et celui qui prédomine dans le monde. Qu’elle le veuille ou non, l’Eglise, à l’Ouest, est en voie de devenir une contre-culture ; son avenir dépend désormais principalement de savoir si elle qui est le sel de la terre, saura garder sa saveur et ne pas être piétinée par les hommes.
La beauté de l’enseignement de l’Eglise ne peut briller qu’à condition de ne pas être dilué. La tentation de diluer la doctrine est aujourd’hui renforcée par un fait qui dérange : les catholiques divorcent presque autant que leur homologues sécularisés. Quelque chose est allé de travers, c’est évident. Il est contraire à toute raison de penser que tous les catholiques divorcés et remariés civilement sont entrés dans leurs premiers mariages convaincus de leur indissolubilité et qu’ils ont alors fait une volte-face fondamentale en avançant. Il est plus raisonnable de supposer qu’ils se sont engagés dans le mariage sans se rendre d’emblée clairement compte de ce qu’ils faisaient, à savoir brûler leurs vaisseaux pour toujours (c’est-à-dire jusqu’à la mort), de telle sorte que l’idée même d’un deuxième mariage ne pouvait même pas exister pour eux.
Hélas, l’Eglise catholique n’est pas sans tort. La préparation chrétienne au mariage omet souvent de donner aux couples fiancés une idée claire des implications du mariage catholique. Si c’était le cas, de nombreux couples décideraient très probablement de ne pas se marier à l’Eglise. Pour d’autres, évidemment, une bonne préparation au mariage pourrait utilement déclencher un processus de conversion. L’idée est tellement séduisante, selon laquelle l’union d’un homme et d’une femme est « écrite dans les étoiles », qu’elle s’ancre dans les hauteurs, et que rien ne peut la détruire, « dans le bonheur comme dans le malheur ». Cette certitude est une source magnifique et enthousiasmante de force et de joie pour les époux qui s’efforcent de traverser les crises de leur mariage en cherchant à insuffler une nouvelle vie dans leur vieil amour.
Au lieu de renforcer l’attrait naturel et intuitif de la permanence conjugale, bien des hommes d’Eglise, y compris des évêques et des cardinaux, préfèrent recommander, ou au moins envisager une autre option, une option alternative à ce que Jésus enseigne et qui constitue, fondamentalement, une capitulation devant la pensée laïque dominante. Le remède à l’adultère, nous dit-on, ne doit plus être la contrition, le renoncement et le pardon, mais le passage du temps et l’habitude, comme si l’acceptation sociale générale et notre manière de nous sentir à l’aise avec nos propres décisions et nos propres vies avaient un pouvoir  presque surnaturel. Cette alchimie est supposée transformer un concubinage adultérin – que nous appelons « second mariage » – en union acceptable que l’Eglise devrait même bénir au nom de Dieu. Etant donnée cette logique, il n’est que justice que l’Eglise bénisse également les partenariats homosexuels.
Mais cette manière de penser repose sur une erreur profonde. Le temps n’a rien de créatif. Son passage ne restaure pas l’innocence perdue. En réalité, sa tendance est toujours exactement vers l’opposé : il augmente l’entropie. Chaque occurrence d’ordre dans la nature est arrachée à l’entropie, et avec le temps retombe sous sa domination. Comme le dit Anaximandre : « Ce d’où il y a génération des entités, en cela aussi se produit leur destruction, selon l’assignation du temps. » Il serait mal de réemballer le principe de la décomposition et de la mort pour le présenter comme quelque chose de bien. Nous ne devons pas confondre la lente anesthésie du sens du péché avec sa disparition et la libération de la responsabilité que nous continuons d’en porter.
Aristote enseignait qu’il y a un plus grand mal dans le péché habituel que dans une seule chute accompagnée de l’aiguillon du remords. L’adultère en est un exemple, spécialement lorsqu’il conduit vers de nouveaux arrangements légalement consacrés – le « remariage » – qu’il est presque impossible de défaire sans de très douloureux efforts. Thomas d’Aquin utilise le terme de perplexitas pour caractériser de tels cas. Ce sont des situations dont il n’est pas possible de s’échapper sans encourir une forme ou une autre de culpabilité. Même un seul acte d’infidélité laissera l’adultère empêtré dans la perplexité : devra-t-il avouer son acte à son épouse ou non ? S’il avoue, il a une chance de sauver son mariage, et en tout cas, il évite un mensonge qui finirait par détruire la confiance mutuelle. D’un autre côté, une confession pourrait menacer encore plus gravement son mariage que le péché lui-même (c’est pourquoi les prêtres conseillent souvent aux pénitents de ne pas révéler leur infidélité à leurs époux). Notez en passant que S. Thomas enseigne que nous ne tombons jamais dans la perplexitas sans une mesure de culpabilité personnelle ; Dieu le permet, dit-il, comme punition du péché qui nous a d’abord fait prendre le mauvais chemin.
Soutenir nos frères dans la foi au milieu de la perplexitas du remariage, leur montrer de l’empathie et les assurer de la solidarité de la communauté, est une œuvre de miséricorde. Mais les laisser approcher de la communion sans contrition et sans régularisation de la situation serait une offense au Saint Sacrement – une offense de plus parmi les nombreuses offenses commises aujourd’hui. L’instruction de Paul sur l’Eucharistie dans la Première aux Corinthiens aboutit à une mise en garde contre la réception indigne du Corps du Christ : celui qui mange et boit indignement mange et boit sa propre condamnation. Pourquoi les réformateurs de la liturgie ont-ils sabré ces versets décisifs de la deuxième lecture de la messe du Jeudi Saint et de la Fête Dieu – ces fêtes de l’Eucharistie, justement ? Lorsque tous ceux qui assistent à la messe se lèvent pour recevoir la communion, dimanche après dimanche, il faut bien s’étonner : les paroisses catholiques ne comptent-elles plus aujourd’hui que des saints ?
Mais il y a encore un dernier point, qui en toute justice devrait être le premier. L’Eglise reconnaît qu’elle a géré les cas d’abus sexuels de mineurs sans montrer suffisamment s’égards pour les victimes. Le même motif se répète ici. A-t-on jamais évoqué les victimes ? Quelqu’un parle-t-il de la femme abandonnée avec leurs quatre enfants par son mari ? Elle est peut-être disposée à le reprendre, ne serait-ce que pour assurer la subsistance des enfants, mais lui, il a une nouvelle famille et n’a nullement l’intention de revenir.
Cependant, le temps passe. L’adultère aimerait recevoir la communion de nouveau. Il est prêt à confesser sa faute, mais il n’est pas disposé à en payer le prix, à savoir une vie de continence. La femme abandonnée ne peut que regarder pendant que l’Eglise accepte et bénit la nouvelle union. Comme pour ajouter l’insulte à la blessure, l’abandon qu’elle a subi reçoit le sceau de l’approbation ecclésiastique. Il serait plus honnête alors de remplacer les mots « Jusqu’à ce que la mort vous sépare » par « jusqu’à ce l’amour de l’un de vous refroidisse » – cette formule a déjà été recommandée avec le plus grand sérieux. Parler ici d’une « liturgie de bénédiction » plutôt que d’un remariage devant l’autel n’est qu’un tour de passe-passe trompeur qui n’a d’autre effet que de jeter la poudre aux yeux.


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